Où allons-nous?

En astronomie, comme dans toutes les sciences naturelles, l'observation (ou l'expérimentation) se conjugue avec la théorie dans l'élaboration de nos connaissances. L'une et l'autre contribuent à l'avancement des sciences. Certaines théories ont permis de faire des pas de géant ou de réduire à néant des théories acceptées depuis longtemps.

On peut citer les théories de la relativité d'Einstein qui ont révolutionné la façon d'aborder les problèmes de la physique. L'observation, en astronomie, a permis certains développements importants bien avant que la théorie ne puisse expliquer les phénomènes observés. On pense ici à Kepler, qui a découvert les principales caractéristiques du mouvement des planètes bien avant que Newton n'énonce les lois qui permettent de calculer leur trajectoire. Il arrive aussi que les observations viennent remettre en cause des théories acceptées par la plupart des membres de la communauté scientifique.

Ce pourrait à nouveau être le cas avec la découverte des savants du groupe "High-Z Supernova Search Team" (HZSST) [ainsi que celle du "Supernova Cosmology Project" (SCP)]. Ils ont mesuré les vitesses d'éloignement de supernovæe lointaines. Ils ont trouvé que, contrairement à la théorie, ces vitesses croissent avec le temps, c'est-à-dire qu'elles sont soumises à une force d'accélération alors que la théorie prévoit que ces vitesses décroissent sous l'effet de la gravité. En annonçant ce résultat, [le responsable de l'équipe du HZSST], Brian Schmidt, n'a pu se retenir de dire : "Ma propre réaction en est une d'étonnement et d'horreur". Étonnement, parce qu'il ne s'attendait pas à un tel résultat et, horreur, sans doute, face à la perspective des débats qu'il devrait affronter avec de tels résultats qui remettaient en question plusieurs des hypothèses à la base des théories sur l'évolution de l'Univers. [Aujourd'hui, on sait que ces données ont été confortées aussi par l'analyse du fond cosmologique avec la mission "WMAP", ainsi que par les données reliées aux oscillations baryoniques acoustiques. Il y a donc un consensus: une énergie sombre accélère bel et bien l'expansion de l'Univers.]

Pour expliquer une telle accélération des [galaxies], il est nécessaire qu'elles soient soumises à une "force antigravitationnelle" [dont la réalité échappe aux cosmologistes]. Le problème, c'est qu'une telle force ne fait pas partie du bagage des lois avec lesquelles les physiciens essaient d'expliquer l'évolution de l'Univers. Cependant, ce n'est pas la première fois qu'on mentionne la possibilité d'une force de cette nature. Un retour en arrière nous permet de constater qu'elle a une histoire intéressante.

C'est en 1916 qu'Einstein a énoncé la théorie de la relativité générale dont l'originalité consistait à remplacer la gravité par une ["pseudo-force"] qui était liée aux propriétés de l'espace. Ceci l'amenait à décrire l'espace par un ensemble d'équations. Ces équations lui posaient un problème qui l'embarrassait. En effet, la solution de ces équations conduisait nécessairement à conclure que l'Univers ne pouvait pas être stable. À l'époque, ceci paraissait inconcevable comme hypothèse scientifique et Einstein n'osa pas défier cette croyance générale. Pour rendre sa théorie conforme aux idées du temps, il ajouta une constante à ses équations, qu'il appela “constante cosmologique”. Celle-ci représentait, en pratique, une force antigravitationnelle.

Je ne peux m'empêcher de m'arrêter pour faire remarquer jusqu'à quel point nos conceptions ont pu évoluer depuis 80 ans. Même un savant de la stature d'Einstein, dont les théories devaient révolutionner notre connaissance du monde n'a pas osé s'attaquer à cette croyance en un Univers aux dimensions stables. On peut penser que sa nouvelle théorie était tout à fait révolutionnaire et qu'il craignait qu'elle ne soit discréditée parce qu'elle conduisait à une telle conclusion. Peut-être que cela lui paraissait tellement excessif qu'il ne voulait pas mettre ainsi en péril sa réputation. Einstein était déjà bien connu, car il avait déjà à son crédit la théorie de la relativité restreinte, qu'il avait énoncée en 1905. De toute façon, on peut penser qu'il était alors dangereux de soutenir que l'Univers était en expansion.

Au cours des années 1920, cette croyance allait être sérieusement bouleversée. En premier lieu, un savant russe, Alexandre Friedmann, démontra que même l'ajout de la constante cosmologique ne permettait pas d'obtenir un Univers stable comme solution aux équations de la relativité générale. Il fut d'ailleurs l'un des premiers à proposer le modèle d'un Univers en expansion. De plus, c'est au cours de cette décade que Hubble et son équipe firent les découvertes qui devaient l'immortaliser. Il fit la mesure de la distance des nébuleuses et établit que certaines sont des galaxies qui se situent en dehors de notre propre galaxie. Cependant, cette seule découverte n'aurait pas donné à Hubble la célébrité dont il jouit. C'est en mesurant la vitesse radiale des galaxies grâce à la spectroscopie qu'il a trouvé la loi qui a révolutionné l'étude de l'Univers. En effet, il établit que la vitesse d'éloignement des galaxies était proportionnelle à leur distance de la Terre. Il en déduisit une relation qui porte son nom. Il ne restait qu'un pas à franchir pour conclure que [l'Univers avait "débuté" en une formidable "explosion"] [...] C'est ce qu'on connaît maintenant sous le nom de théorie du Big Bang. Il n'est donc pas surprenant qu'à la suite de tous ces développements, Einstein ait dit un jour que l'invention de la constante cosmologique était la plus grande bévue de toute sa vie.

Cependant, cette théorie du Big Bang ne fut pas acceptée d'emblée par toute la communauté scientifique. Au contraire, plusieurs savants renommés lui opposèrent la théorie de l'état constant. Cependant, en 1965, la découverte du rayonnement cosmologique de fond apporta un appui important à la théorie du Big Bang et, aujourd'hui, la très grande majorité des savants l'acceptent.

Si l'Univers est maintenant en expansion, doit-on s'attendre à ce qu'il en soit toujours ainsi? La théorie du Big Bang n'entraîne pas nécessairement que l'Univers soit toujours en expansion. En effet, toute la matière de l'Univers est soumise à la force de gravité qui exerce une attraction sur toute cette matière en expansion et contribue à diminuer sa vitesse. Ainsi, le sort de l'Univers dépend de la quantité de matière qu'il contient. Plus la quantité de matière est importante, plus la force qui freine l'expansion est grande.

On envisage trois types d'avenirs possibles pour l'Univers. Dans le premier cas, si toute la matière existante dans l'Univers est inférieure à ce qu'on appelle la “masse critique”, l'Univers est destiné à croître indéfiniment. Si, par contre, la matière dans l'Univers est égale à cette “masse critique”, ses dimensions croîtront jusqu'à une certaine limite stable. Enfin, si la matière dans l'Univers dépasse la “masse critique”, l'Univers, après une longue période de croissance, commencera à se contracter et finira par avoir une dimension très petite, comme à l'origine.

Il est très intéressant de connaître [le contenu énergétique total] de l'Univers. [Les résultats de missions mentionnés plus haut, ainsi que ceux de la mission WMAP et des oscillations baryoniques, pointent vers un contenu dont les proportions relatives sont les suivantes: 5 % de matière ordinaire, 27 % de matière sombre et 68 % d'énergie noire.] […]

On a vu que la [relativité générale] joue un rôle primordial dans le modèle du Big Bang. S'il existe une force qui vient annuler cette force de gravité, il faudra réexaminer non seulement notre vision de l'avenir de l'Univers, mais également plusieurs éléments de la physique théorique. À la suite de la publication de ces résultats, doit-on s'attendre à un changement prochain de l'astrophysique? Va-t-on réintroduire la constante cosmologique? [Certains cosmologistes, comme Jean-Philippe Uzan, pensent qu'il est possible qu'on donne provisoirement des noms comme "énergie sombre" à des réalités qui nous échappent et que l'on doive peut-être remettre en question le Principe copernicien, donc que ce problème découlerait seulement d'un mauvais choix de symétrie.] Avant que de tels résultats ne soient admis par la communauté scientifique, ils seront examinés à la loupe et d'autres expériences seront entreprises pour les confirmer ou les infirmer. […]

M. Martin Rees, astronome royal à Cambridge, en Grande-Bretagne, fait un parallèle entre cette situation et celle dans laquelle se trouvait Kepler quand il essayait de décrire le mouvement des astres à partir de cercles, comme on le faisait depuis les Grecs. Ce n'est qu'après avoir reconnu que les astres se déplacent, non pas sur des cercles, mais sur des ellipses, qu'il a fait les découvertes auxquelles son nom est attaché.

Texte original: Jules Delisle

Révision: Mario Lessard, 2016

J'ai choisi le titre de mon article en souvenir de l'abbé Thomas Moreux, qui avait exposé les connaissances de son temps sur le sujet (qui nous paraissent maintenant tout à fait désuètes) dans une série de volumes: “Qui sommes-nous?”, “D'où venons-nous?” et “Où allons-nous?”

Voir l'article : “Astronomers See a Cosmic Antigravity Force at Work” dans la revue “Science” du 27 février 1998 - Vol. 279, No 5355, pp. 1298-1299.



 

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