Observation de mes Léonides
En astronomie, il existe de grands moments, que tout le monde attend avec impatience. On n'a qu'à penser à la comète Halley en 86, à l'éclipse de soleil de 94, à la comète Shoemaker-Levy qui s'est écrasée sur Jupiter, à la comète Hale-Bopp, etc.
La pluie d'étoiles filantes des Léonides fait aussi partie de ces moments magiques.
C'est dans un article de la revue Sky and Telescope (1996) que je pris connaissance pour la première fois de cette pluie de météores. Normalement, les Léonides sont une pluie plutôt insignifiante. Mais à chaque passage de la comète qui les génère, on peut s'attendre à une activité exceptionnelle d'étoiles filantes. L'image qui m'est restée le plus de cet article, c'est que lors des meilleurs moments des Léonides, on pouvait comparer l'intensité des météores avec ceux des flocons de neige pendant une tempête.
J'ai donc décidé que j'assisterais à tous les passages des Léonides pour les prochaines années à venir.
Après en avoir parlé dans une réunion du Club, nous sommes allés observer aux Sommets la nuit des Léonides de 1996. C'était une nuit enneigée et froide avec un ciel parfait. Il y avait Gisèle, Germain, Guy Dumoulin, Guy Lafond, Jean-Paul et moi (j'oublie sûrement du monde). Nous n'avons pas vu d'activité notable, si ce n'est qu'un magnifique bolide a traversé la majeure partie du ciel et ce très lentement par rapport à une étoile filante normale. Tout le monde a eu le temps de se retourner et de l'admirer. Je me rappelle même avoir eu le temps de me demander si c'était pas autre chose. La direction d'où semblait provenir ce bolide nous a laissé penser que c'était une Léonide. Apparemment que c'était une grosse pièce de roc qui a frôlé la terre et qui a rebondi dans l'espace en frappant l'atmosphère. C'était l'hypothèse qui nous semblait la plus plausible pour expliquer sa faible vitesse de déplacement. Étant à très haute altitude, cette pierre nous apparaissait plus lente.
En 1997, nous sommes aussi allés aux Sommets. Pas d'activité exceptionnelle non plus. Mais comme on n'est pas restés bien tard et que les Léonides sont plus actives en fin de nuit, je me suis donc relevé à 3h30 le matin suivant. Je me suis installé dans la cour chez moi, entre les bâtiments afin de me cacher de toute lumière parasite. Je me suis étendu sur un vieux siège d'auto inclinable et j'ai scruté le ciel. La nuit était très froide: près de -20°C. Le ciel était "écoeurant". Je pouvais voir des étoiles de magnitude 6. Le Lion était bien haut en face de moi. J'ai vu plusieurs Léonides, mais la plupart étaient très courtes, très rapides et très peu brillantes. Quelques Taurides sont aussi venues agrémenter le spectacle. J'ai compté 50 Léonides en à peu près une heure.
Dans la même semaine, on en était alors à préparer le premier Salon de l'Astronomie, plusieurs personnes du Québec et du nord-est américain ont pu voir un énorme bolide. On en fit mention dans les médias et l'Astrolab a attribué ce bolide à l'essaim des Léonides.
Les années les plus probables à un surcroît d'activité des Léonides sont 1998 et 1999. Donc, cette année, tout le monde les attendait avec impatience. Le maximum était prévu le 17 novembre en après-midi. L'Asie serait donc favorisée. Mais il y avait une période d'incertitude de 12 heures avant et après cette prévision. Mario Lessard nous a fait aussi parvenir une lettre d'un astronome américain qui analysait qu'historiquement, dans les conditions qu'on avait, les Léonides étaient un peu à l'avance par rapport aux prévisions. Déjà, dans la nuit du 15 au 16, des internautes de la région de Rimouski nous ont fait part de plusieurs étoiles filantes brillantes qui proviendraient des Léonides. La soirée du 16 était nuageuse, mais on annonçait un dégagement pour les heures suivantes. Sur Internet, on apprenait qu'il y avait de l'activité météoritique en Asie et ce, une journée avant le maximum prévu. Des Européens nous faisaient aussi part du fait qu'ils avaient vu des météores très brillants. Je me suis donc couché tout habillé sur le divan avec le réveil ajusté pour 1h du matin.
1 heure du matin: BRZZZZZZZZZZ... Je bondis comme un ressort et je sortis sur le patio pour voir le ciel... nuageux. Mais les nuages étaient plutôt minces et on pouvait distinguer la constellation d'Orion à l'occasion. Vraiment pas un bon temps pour des étoiles filantes. J'étais déçu. Je me suis branché à Internet pour voir mes messages. Les Européens qui rentraient après leur nuit d'observations faisaient état d'étoiles filantes très longues et très brillantes. Certaines d'entre elles aussi brillantes que la Pleine Lune. Des décomptes de 100 et plus à l'heure avaient été observés. Un astronome professionnel aux Îles Canaries disait avoir vu environ 3000 météores à l'heure. Il disait n'être qu'un simple professionnel peu habitué à ce genre d'observations et qu'il pouvait faire erreur.
Un taux de 100 à l'heure, peut être 3000, et des étoiles filantes aussi brillantes que la Lune, j'étais sûr d'en voir au moins quelques-unes au travers des nuages. Je sortis à nouveau sur le patio pour observer un peu. Il y avait toujours cette mince couche de nuages. Quelques étoiles pointaient ici et là. Il faisait -3°C environ, mais l'air était plutôt doux. C'était tout de même froid en T-shirt. Au bout de 4 à 5 minutes j'allais abandonner quand soudain... SHHHHHHOUCCCCHHHHHHHHHHHH*... ... une étoile filante brillante et très rapide traversa le ciel, coupant Orion en deux. YEAAAHHHH!!!
Aussitôt, je courus m'habiller. Je passai par le garage pour prendre mon siège d'auto et ressortis dehors environ 5 minutes après. Je regardai le ciel. La couche nuageuse avait épaissi et on ne voyait plus rien maintenant. AAAARRRGGGGHHHHHHH!!! J'attendis un peu et le ciel ne semblait pas vouloir s'améliorer. Pire, de fins flocons de neige picotaient mon visage. C'était désespérant. C'est alors qu'un autre météore brillant illumina le ciel au travers des nuages. Fou de joie, je m'étendis sur mon siège entre les bâtiments pour me cacher des lumières parasites et j'observai. Presque aussitôt 3 autres météores brillants percèrent les nuages. Il se passa quelques minutes. La fine neige cessa et quelques constellations apparurent. J'aperçus une autre étoile filante. Et une autre. Elles étaient brillantes et rapides. Certaines aussi brillantes que la Pleine Lune. Ça faisait un peu penser à des éclairs, mais sans le bruit. Elles laissaient derrière elles une traînée qu'on pouvait observer quelques secondes après le passage du météore.
Il m'apparut bientôt évident que les étoiles filantes venaient par vagues. Il y avait des accalmies de 5 à 10 minutes et tout à coup, on pouvait en voir 3, 4 ou 5 en peu de temps. Une fois, deux météores sont apparus en même temps, côte à côte. Les plus brillantes illuminaient les environs. Et c'est en voyant les environs s'illuminer sans que j'aie vu de météores que je compris que j'étais trop près des bâtiments. J'ai donc ramassé mon siège et je suis allé m'installer à un endroit plus dégagé. Comme je reposais mon siège sur le sol, une étoile filante passa derrière moi et je vis mon ombre sur le sol. Je me retournai et vis une belle traînée persister dans le ciel.
Je remarquai que cette traînée me semblait comme fendue en deux. Comme si un canal la traversait sur le sens de la longueur. J'eus plus tard une explication à ce phénomène. Après le passage d'une étoile filante, les gaz luminescents qui font la traînée sont en forme de tube. Quand on regarde ce tube de côté (ou du dessous), on voit plus de gaz lumineux sur les côtés qu'au centre du tube. Les côtés de la traînée nous semblent donc plus lumineux. J'observai plusieurs fois ensuite cette particularité. C'est alors qu'une belle étoile filante qui provenait du Taureau et se dirigeait vers le Lion est venue me surprendre. Elle était longue et très belle, mais elle m'a semblé beaucoup moins brillante que les autres. Elle allait exactement à l'opposée des Léonides.
Pendant les périodes creuses, j'attendais impatiemment, mais avec beaucoup de plaisir, la venue de la prochaine vague de filantes, car j'avais la certitude qu'il en viendrait d'autres. Je me sentais comme quand j'étais p'tit gars à la veille de Noël.
Je pouvais facilement distinguer d'où semblaient provenir ces Léonides et ce, même si je n'ai jamais vu le Lion, qui est resté caché dans les nuages.
Finalement, le ciel qui s'était assez dégagé, (assez pour voir les Pléiades) s'est couvert à nouveau de nuages épais et la neige a recommencé à tomber avec plus d'intensité. Je suis donc rentré à l'intérieur pour me réchauffer en gardant l'espoir d'avoir d'autres éclaircies plus tard. Je suis resté dehors environ 1 heure et 15 minutes et j'ai compté 29 Léonides et une Tauride.
Une fois à l'intérieur, j'envoyai un message sur Internet pour relater mon observation. Les amateurs américains ont commencé à relater leurs observations. Eux aussi ont vu de très brillants météores. Leurs descriptions correspondaient bien à mes observations. Ceux qui avaient un ciel bien dégagé faisaient part de taux de 100 à 200 étoiles filantes à l'heure. Les chanceux...
Je décidai de dormir un peu en attendant un autre dégagement (qui n'est jamais venu). Avant de me coucher je sortis un peu sur le patio. Le ciel était vraiment bouché. Je regardais vers l'est, en direction d'où devait se trouver le Lion. Une dernière Léonide (courte et descendant vers le bas) me salua à travers les nuages.
Je me suis relevé vers 4h30. 2 pouces de neige supplémentaires couvraient le sol. Trop de nuages...
La nouvelle d'une forte activité des Léonides s'est propagée dans la journée suivante. Beaucoup s'attendaient à ce que l'activité augmente encore, vu que le moment du maximum prévu n'était pas encore passé. Le dégagement des nuages se faisait toujours attendre, mais on avait bon espoir que le ciel serait parfait pour la soirée.
C'était la période où on faisait la promotion du Salon de l'Astronomie. Aussi, la station de télévision CKSH avait convoqué Gisèle pour faire une entrevue pendant les nouvelles de 18h00. Je suis allé à cette entrevue afin d'apporter un peu de soutien à Gisèle. Éric et Pierrette y étaient aussi. En racontant mon expérience, la présentatrice (la belle Alexandra), m'a demandé de parler un peu devant la camera moi aussi. Je l'avais déjà fait l'an passé, mais ça reste tout de même intimidant. J'ai pas eu l'air trop fou, j'espère!!!
Ensuite, on est allés aux Sommets attendre la gang. On s'y était donné rendez-vous.
Vers 10 heures, le ciel s'est enfin dégagé. On est sortis pour observer. Les chaises de Mme Déland furent mise à contribution. Moi, j'avais apporté mon "siége de char". Le grand luxe...
Bientôt, quelques étoiles filantes apparurent. Des Léonides et des Taurides à peu près en nombre égal. Les taux n'étaient pas exceptionnellement élevés, mais il était encore tôt. Quelques beaux météores passèrent.
Mais plus ça allait, plus il m'apparaissait évident que les Léonides étaient beaucoup moins présentes que la nuit précédente même si le Lion était bien levé.
J'étais aussi très fatigué. Je n'avais plus beaucoup de patience. On est allés se réchauffer et prendre un café à l'intérieur. Je m'endormais sur ma chaise. J'avais la certitude que les Léonides étaient sur leur déclin et je suis donc retourné chez moi.
Le maximum des Léonides eu lieu 18 heures avant les prévisions. Beaucoup d'amateurs furent déçus de les avoir manquées.
Ce fut la plus belle exhibition d'étoiles filantes que j'ai jamais vue. Les Léonides de l'an prochain pourraient être encore meilleures.
J'y serai!!!!!!!!!!
* Je sais, des étoiles filantes ne font aucun bruit, mais ça en faisait dans ma tête quand je les voyais.*
Par Robert Véronneau