La plus grande partie du travail de la recherche de météorite se fait avant d’acheter le billet d’avion pour la destination choisie. Il faut des années d’apprentissages sur les météorites en général et des mois de recherches ciblées sur l’endroit précis du désert où on veut chercher. Avant mon départ, j’avais le désir (la prétention ?) de découvrir une nouvelle zone de collecte dense. J’avais trouvé un plateau à environ 1500 m sur le niveau de la mer, vieux d’environ 2 Ma, qui semblait prometteur ; c’était le plan A. En date d’aujourd’hui (18 juin 2022), aucune météorite n’est recensée dans cette zone. J’ai aussi repéré et étudié la zone de collecte dense de El Médano comme plan B. |
Une fois les zones choisies, j’ai téléchargé toutes les cartes à plusieurs échelles sur ma tablette pour les avoir disponibles sur place. Il faut alors chercher toutes les stations d’essence et les villages où on peut trouver du ravitaillement. Bref, on doit tout calculer et organiser l’intendance, pour pouvoir se rendre à l’endroit choisi, passer au moins une semaine à chercher sur place et revenir à un endroit civilisé sans mourir de soif ou de faim. J’ai alors fixé le point d’arrivée au Chili à Calama ; ville minière chilienne qui se trouve au milieu entre les deux zones que j’avais décidé de chercher.
En septembre 2019, le billet d’avion Montréal-Houston-Lima-Calama aller-retour est acheté. La voiture 4X4 et les nuitées d’hôtel sont réservées. La fièvre du départ s’installe progressivement. À la mi-octobre, de mauvaises nouvelles viennent du Chili ; une révolte populaire s’enclenche à Santiago, la capitale du Chili. Vers le début de novembre, les troubles se répandent dans tout le Chili. Que faire ? J’ai eu la chance de choisir l’unique vol qui me permettait de rejoindre Calama sans passer par Santiago, la capitale. J’ai fait le pari que dans le désert je serais tranquille ; j’ai alors décidé de partir quand même. Alea jacta est.
Le 14 novembre 2019, après 39 heures de voyage, me voici dans ma chambre d’hôtel à San Pedro de Atacama (Altitude : 2400 m). J’avais prévu de venir ici pour visiter El Museo del Meteorito qui possède probablement la plus grande collection de météorites trouvées dans le désert de l’Atacama. Cela me permettait de m’instruire sans intermédiaires sur les météorites locales en plus d’avoir un peu de temps pour me reposer du voyage et m’acclimater au désert en altitude. Il faut que je ménage mon cœur, car il a reçu la visite du bistouri pour y court-circuiter 4 coronaires. Mon médecin m’a conseillé de ne pas monter au-dessus de 4000 m d’altitude. Heureusement, les zones visées se trouvent dans la vallée centrale de l’Atacama et l’altitude maximale de mes recherches ne devrait pas dépasser de 3500 m. |
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La visite du musée ne m’a pas apporté ce que je cherchais. En effet, quoique l’exposition expliquait très bien l’ensemble de la science météoritique, elle montrait presque exclusivement les météorites plus importantes trouvées dans le désert de l’Atacama, comme Vaca Muerta et Imilac par exemple. De plus, j’ai voulu acheter une petite chondrite pour calibrer mes yeux[1]sur le terrain, mais j’ai dû renoncer devant le prix exorbitant demandé. J’ai décidé que la calibration se ferait avec mes chondrites ordinaires du Sahara. [1] Calibrer les yeux veut dire : lancer une météorite loin devant soi en ayant les yeuxfermés pour ensuite la retrouver en regardant devant soi ; de cette façon, l’œil et le cerveau s’entraînent à trouver ce qu’on cherche.
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Dans l’après-midi je me permets une petite marche en dehors de la ville pour un exercice d’acclimatation tout en profitant des magnifiques paysages des environs.
Le jour après, je quitte San Pedro et ses Japonaises qui se promènent sous des ombrelles colorées parmi les maisons de chaume, pour me rendre à Calama et prendre possession du 4 X 4 Nissan Pathfinder. Cela étant fait, je vais faire un petit tour dans le désert pour la vérification du matériel : tablettes avec cartes, piles, fil de fer, marteau, limes diamantées, drapeaux de repérage, canne aimantée, montage du détecteur de métaux, et surtout vérification du GPS, car je me suis déjà fait prendre dans le désert du Sahara.
En effet, lors d’une expédition dans le Sahara mauritanien, j’avais des cartes topographiques de l’IGN[1] (Google n’existait pas encore) et un GPS dans le but de me repérer. Or arrivée à destination je me suis rendu compte que les points GPS et les cartes ne correspondaient pas du tout. Ce fut toute une surprise de constater que le puits cherché n’était pas à l’endroit où il aurait dû être une fois rendu sur place. Donc cette vérification était pour moi très importante et je fus heureux de constater que les cartes Google étaient en accord avec mon GPS ; ouf ! La sortie m’a permis aussi de faire l’essai et la vérification de la voiture que je trouve trop luxueuse et avec une possibilité de franchissement trop faible ; pour le reste, elle est puissante et confortable.
[1] Institut Géographique National, France
Après une dernière nuit d’hôtel et le ravitaillement effectué à Calama, je pars pour ma destination de prospection : Pampa de Tana. Avant de m’y rendre, j’ai programmé de passer la nuit dans la zone de Calate où une équipe russe a trouvé plusieurs météorites. Le but n’étant pas de chercher sérieusement, mais plutôt de me familiariser, pendant quelques heures, avec des terrains propices à la découverte de météorites.
Le lendemain, la voiture ne veut pas démarrer du premier coup en me disant qu’elle ne reconnaît pas la clé. Technologie stupide ; la clé est seulement électronique. Il est donc impossible de démarrer en insérant une vraie clé dans le trou du démarreur ! J’approche la clé vers le tableau de bord et la voiture démarre.
Quelques kilomètres au nord de Quillagua, il y a un poste de contrôle permanent ; on dirait un poste-frontière. Il n’y a pas de barrière, mais simplement un panneau de signalisation de stop. Aucun policier ou douanier dans le voisinage, mais des édifices bordent la route sur laquelle plusieurs poids lourds sont stationnés. Devant moi, une voiture avance lentement dans cette zone de contrôle. J’imite ses agissements et une minute plus tard je suis de l’autre côté de la zone de contrôle.
Arrivé à Pozo Almonte, j’essaye de trouver une nouvelle pile pour la clé de ma voiture, mais impossible de la trouver ici. Je fais donc un détour pour Iquique, capitale de la province de Tarapacá. Malheureusement, il est dimanche et tous les concessionnaires sont fermés. On me suggère d’aller voir un immense marché où on vend de tout, de la pacotille aux horloges de luxe, qui est ouvert même le dimanche. Mais, après deux heures de recherche dans ce labyrinthe, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. Maintenant la clé semble fonctionner et je décide de continuer pour ma destination. |
J’arrive sur le plateau de Pampa de Tana le soir ; j’ai juste le temps d’admirer le ciel rempli d’étoiles qui me fait rêver. La coupole étoilée est parfaitement dégagée, sauf deux petits nuages, l’un plus gros que l’autre, dérangent cette perfection. Je prépare le camp pour la nuit, ce qui deviendra une routine. L’eau et la nourriture sont placées à l’extérieur pour profiter du froid de la nuit ; la température baissant rapidement après le coucher du soleil et étant proche du zéro centigrade au lever. La partie arrière de la voiture devient ma chambre à coucher ; je peux m’allonger complètement dans mon duvet sur un matelas gonflable qui permet un confort parfait. Le soir, avant d’enfiler les vêtements de nuit, un lavage aux lingettes avec un minimum d’eau s’impose. Le matin, je mets la nourriture et l’eau dans la voiture et je couvre le tout avec mon duvet. Cette méthode me permet de conserver les aliments et de boire frais toute la journée. La recherche sérieuse commence enfin.
L’étude du sol montre que je suis bien sur une surface ancienne, car beaucoup de pierres montrent l’érosion éolienne : ce sont des ventifacts. Souvent, ces ventifacts imitent fortement les cavités qui se forment à la surface des météorites lors de la traversée de l’atmosphère. Par contre, la présence de sable sombre qui jonche le sol me préoccupe. Je teste les cailloux avec l’aimant et celui-ci colle dessus. Je teste le sable et ma canne magnétique est recouverte de ce sable sombre. C’est bien ce que je craignais : c’est de la magnétite. Comme la grande majorité des météorites sont magnétiques, je viens de perdre un moyen important de discrimination.
Je fais des tests de calibrations des yeux ; mes météorites se camouflent parfaitement sur ce terrain. Qu’importe, je me promène dans les environs en me concentrant sur la découverte éventuelle d’une météorite. Après plusieurs heures de recherche, je m’aperçois que j’ai couvert une superficie beaucoup trop petite, car je suis continuellement distrait par la vérification de pseudo-météorites. Ce sont des pierres basaltiques et magnétiques présentes en grande quantité. |
La nuit venue, le même ciel rempli d’étoiles surplombe l’immensité du désert. Ciel parfaitement dégagé sauf deux petits nuages, un plus gros que l’autre, situés exactement à la même position que la veille. Alors une petite lumière s’allume dans ma tête. Bien sûr ! Les Nuages de Magellan rient de moi.
Le lendemain, je passe à l’utilisation du détecteur de métaux. En effet, à la maison, j’ai programmé le détecteur pour pouvoir distinguer les chondrites des « hot rocks » : des cailloux magnétiques qui ont été éparpillés par les glaciers autour de Sherbrooke. Je me rends compte que le même programme ne fonctionne pas pour distinguer les pseudo- météorites de mes météorites-tests que j’ai apportés avec moi. J’essaye alors de reprogrammer le détecteur, en vain car les cailloux d’ici réagissent exactement comme mes chondrites.
La tâche de trouver une météorite semble beaucoup plus compliquée que prévu. Ceux qui pensent qu’il suffit de trouver une surface ancienne et vierge de toute fouille dans un désert sec pour aller ramasser des météorites comme si on récoltait des melons dans un champ de melon se trompent énormément. Après trois jours d’essais infructueux, devant la difficulté d’éviter les leurres et la perte de temps qui s’en suit, je décide de passer au plan B : chercher dans la zone de collecte dense de El Médano. Alors, au lever du soleil, départ direction Sud.
À Pozo Almonte, une manifestation bloque la route. Barricade et pneus qui brûlent sur la chaussée ; deux heures pour passer. Arrivé au poste de contrôle de Quillagua, les douaniers me demandent un papier que je n’ai pas. Je tombe des nues. On m’explique que la province de Tarapacá est une zone franche et il y a un contrôle douanier. À l’entrée de la zone, j’aurais dû remplir un formulaire que je devais montrer à la sortie. On m’envoie voir un supérieur qui, après interrogatoire, me donne un laissez-passer qui me permet de continuer vers le Sud ; ouf !
Je suis maintenant à 750 km au sud de Pampa de Tana, la nuit approche et d’après les coordonnées de mon GPS je suis rendu sur le côté nord de la zone El Médano. Je vois la piste B-750 qui part sur la gauche et je décide de la suivre pour chercher une place où bivouaquer et passer la nuit. Je m’arrête près de la route asphaltée qui mène à l’observatoire de l’ESO (European Southern Observatory) du Cerro Armazones où l’ESO est en train de construire le ELT (Extremily Large Telescope). Je m’affaire à m’installer quand une voiture de patrouille de l’ESO s’arrête et deux gardes viennent vers moi. Ils sont courtois, mais catégoriques ; la route asphaltée est interdite sans permission écrite de la part de l’ESO. Je leur ai expliqué que je ne suis pas venu par la route asphaltée et que je n’avais pas l’intention de la suivre. Ils m’indiquent alors un endroit, un peu plus loin, où je pourrais m’installer. Comme il fait encore jour, je décide de faire un petit tour pour entraîner mes yeux à la nouvelle surface.
Le terrain est d’une couleur gris-brun qui, lorsque le soleil est bas sur l’horizon, tire vers le rougeâtre. Les pierres ont presque toutes la même couleur et le sable parmi les pierres contient beaucoup de magnétite comme à Pampa de Tana ; on dirait une caractéristique universelle de l’Atacama.
Je cherche sur la pente de la montagne qui donne sur le Cerro Paranal : autre observatoire de l’ESO où se trouve le VLT (Very Large Telescope) que j’aperçois sur les montagnes de l’autre côté de la vallée. Je cherche et en même temps je réfléchis à la situation particulière dans laquelle je me trouve. Je suis, à vol d’oiseau, à 12 km à l’ouest du ELT et à 10 km à l’est du VLT en fixant le sol à la recherche de morceaux de matière céleste pendant qu’à côté, des astronomes et astrophysiciens scrutent l’espace pour étudier les astres.
Je suis en train de remonter la côte quand, tout d’un coup, mon cœur se met à battre très fort ; une pierre qui a toutes les caractéristiques d’une météorite est devant moi, à deux mètres. Ma vue s’embrouille. Suis-je en train de rêver ? Je ferme les yeux quelques instants et je prends une grande respiration. J’ouvre les yeux et la pierre est toujours là. Je m’approche doucement, je la regarde attentivement sans la toucher ; pas de doute, c’est une météorite chondrite. C’est la découverte de ma première météorite à vie!!!