Charles Messier,

 

le furet des comètes

Lorsque je suis devenu membre du Club des astronomes amateurs de Sherbrooke et que je me suis intéressé plus assidûment à l'astronomie, un aspect des observations m'a tout de suite fasciné et intrigué: les objets nébuleux et leurs désignations.

Je me rappelle l'agréable surprise que fut ma première observation télescopique de la grande nébuleuse d'Orion. Je me souviens également des nombreux numéros étranges et compliqués des nébuleuses: M42, M45, NGC6205, etc. On m'a alors expliqué que les numéros débutant par la lettre «M» étaient des objets de Messier, un astronome français.

Depuis le printemps dernier, les membres du Club m'ont fait découvrir de très nombreux objets de Messier. En plus d'être des objets célestes généralement très beaux à observer, plusieurs de ces nébuleuses, galaxies et amas d'étoiles présentent des défis intéressants pour l'observation. D'ailleurs, la découverte et l'observation d'un objet Messier de faible magnitude (de simples petites taches floues) me fascinent maintenant autant que l'observation des nébuleuses plus brillantes. Mon intérêt grandissant pour les objets de Messier m'a amené à m'interroger sur le personnage lui-même.

Le furet des comètes

Ce joli surnom fut attribué à Charles Messier par le roi Louis XV. Ce fut sûrement très approprié, car entre 1758 et 1798, Messier découvrit pas moins d'une quinzaine de comètes. L'intérêt de Messier pour les comètes a probablement débuté lorsqu'il fut engagé comme assistant de l'astronome Joseph-Nicolas Delisle. Il fut initié aux instruments astronomiques et se révéla un excellent observateur. Par la suite, en 1754, il fut engagé à l'Observatoire de la Marine à Paris. À cette époque, les astronomes anticipaient le premier retour prédit d'une comète bien connue, la comète de Halley. À partir de cartes dessinées par Delisle, Messier chercha énergiquement la fameuse comète. Elle fut découverte la nuit de Noël 1758 par un Anglais nommé Johann Georg Palitzsch. Quelques jours plus tard, elle fut observée en Allemagne, mais curieusement, la nouvelle de la découverte prit trois mois avant de parvenir en France. Un mois après la découverte originale, le 21 janvier 1759, Messier observa de façon indépendante la comète de Halley. Malheureusement, Delisle, peut-être par jalousie, refusa que son assistant n'annonce sa découverte. Cette importante observation ne fut donc jamais attribuée à Messier. Pour des raisons obscures, Delisle refusa deux autres fois que Messier n'annonce la découverte d'une nouvelle comète.

Peu de temps après la retraite de Delisle, Messier découvrit la comète de 1764 ainsi que celle de 1766. Pendant une période de quinze ans, presque toutes les comètes observées ont été découvertes par Messier. Les comètes n'étaient toutefois pas sa seule préoccupation. Messier fut un observateur assidu d'occultations, d'éclipses et de phénomènes météorologiques. Il ne fait aucun doute que Messier fut un extraordinaire observateur et découvreur de comètes. De nos jours, cet astronome français est cependant bien connu pour une autre de ses grandes réalisations: le Catalogue des 110 objets de Messier.

Le premier catalogue de Messier

En 1770, Messier devient membre de l'Académie royale des sciences. Cette admission lui permet de publier un grand nombre de mémoires dans le journal de l'Académie. Sa première publication, en 1771, lui procura une renommée très rapide. C'était le Catalogue des nébuleuses et des amas d'étoiles, que l'on découvre parmi les étoiles fixes, sur l'horizon de Paris. Ce mémoire constitue la première partie du fameux catalogue des objets de Messier que l'on utilise encore de nos jours.

Cette première liste de nébuleuses a mis du temps à voir le jour. Le catalogue débute par la nébuleuse du Crabe, répertoriée par Messier le 28 août 1758, alors qu'il essayait de retrouver la comète de 1758. Dans ses mémoires, il écrivit : «Quand la comète de 1758 fut entre les cornes du Taureau, j'ai découvert, sous la corne méridionale et tout près de l'étoile Zêta Tauri, une lueur blanchâtre, allongée en forme de la lumière d'une bougie». Comme, entre autres, l'objet nébuleux était fixe, Messier réalisa que ce n'était pas une comète. Il nota les coordonnées de l'objet et répéta l'opération pour de nombreux autres objets. En 1764, la liste comptait 38 entrées parmi lesquelles on retrouve le grand amas globulaire d'Hercule (M13), les nébuleuses Oméga et Trifide dans le Sagittaire (M17 et M20), la nébuleuse de l'Haltère (M27) et la galaxie d'Andromède (M31).

Contrairement à ce que l'on croit généralement, bon nombre des 45 objets du catalogue de Messier avaient déjà été découverts par d'autres astronomes (la nébuleuse du Crabe, M13, la grande nébuleuse d'Orion, etc.). Dans ce cas, Messier indiquait généralement le nom du premier observateur dans les notes que contenait son catalogue. Les coordonnées des objets de Messier étaient souvent très utiles aux chercheurs de comètes, car elles évitaient de confondre un objet nébuleux fixe avec une nouvelle comète. Toutefois, cette utilité n'était pas toujours réelle. Il semble assez évident que Messier ajouta plusieurs objets afin de gonfler sa liste et d'atteindre le nombre de 45. Le 4 mars 1769, Messier a d'ailleurs déterminé la position de quatre objets bien connus et très différents d'une comète: les nébuleuses d'Orion (M42 et M43), l'amas de la Ruche (M44) et les Pléiades (M45).

Au cours de la période de création du premier catalogue, Messier a utilisé au moins une douzaine d'instruments d'observation. Son préféré, le plus gros qu'il utilisait, était un télescope de 7 ½ pouces de diamètre. Toutefois, la comparaison avec les instruments modernes est difficile. Sa description de l'amas globulaire M13 l'illustre bien: « Nébuleuse sans étoiles, découverte dans la ceinture d'Hercule. Elle est ronde et brillante, le centre plus clair que les bords». Il mentionne aussi fréquemment l'utilisation de petites lunettes apochromatiques de 3 ½ pouces de diamètre. Étant donné son intérêt marqué pour les comètes, Messier choisissait généralement d'utiliser de petits instruments. Notons, en passant, que certains objets de Messier ne sont nébuleux qu'à l'oeil nu. Messier s'en rendit compte en examinant, au télescope ou à l'aide d'une lunette, des nébuleuses répertoriées dans des atlas d'étoiles. Il décida tout de même d'inclure ces objets à sa liste. Le cas le plus évident est M40 : «Deux étoiles très près l'une de l'autre et très petites, placées à la naissance de la queue de la Grande Ourse: on a de la peine à les distinguer avec une lunette ordinaire de 6 pieds».

Les premier et deuxième suppléments

Le 19 février 1771, trois nuits après avoir déposé son premier mémoire à l'Académie, Messier nota la position de quatre nouveaux amas ouverts. Ces objets furent les premiers de 23 nouveaux objets nébuleux qui constituaient le premier supplément au catalogue original. La découverte de ces nouveaux objets s'est faite principalement lorsque Messier observait des comètes. D'ailleurs, ces objets étaient notés sur les magnifiques cartes du trajet des comètes que dressait Messier. En avril 1780, Messier ajouta deux nouvelles observations et porta sa liste à 68 objets. Ce nouveau catalogue fut publié dans l'almanach français Connaissance des temps.

À partir de 1780, un nom devint de plus en plus populaire parmi les chercheurs de comètes: Méchain. Charles Messier était maintenant en compétition avec ce jeune astronome à l'Observatoire de la marine. On peut supposer qu'il s'agissait d'une saine compétition, car Pierre Méchain et Charles Messier s'échangeaient très fréquemment de l'information sur les comètes et sur les objets nébuleux.

Méchain, en 1780 et 1781, découvrit environ 32 nouveaux objets nébuleux alors qu'il cherchait des comètes. Ces découvertes étaient communiquées à Messier qui vérifiait leur position durant ses propres observations. Il est à noter que Messier n'observait pas toujours dans l'ordre les objets communiqués par Méchain. Ainsi, la numérotation du catalogue de Messier réfère à l'ordre chronologique des observations que Messier effectua. Par ailleurs, il semble que Méchain réalisa le premier qu'il y avait abondance d'objets nébuleux dans la constellation de la Chevelure de Bérénice. Le 18 mars 1781, Messier rattrapa le temps perdu et identifia neuf nouveaux objets en une seule nuit.

Messier publia son dernier catalogue d'objets célestes le 13 avril 1781. C'était seulement une année après la première addition au catalogue original. La nouvelle liste comptait 100 objets dont 24 étaient attribués à Méchain. Malheureusement, Messier manqua de temps pour identifier trois objets observés par Méchain. Il les mentionna malgré tout à la fin de son catalogue (objets 101, 102 et 103). En tout, 35 nouvelles descriptions et observations s'ajoutèrent aux 68 premières. De plus, les descriptions des premiers objets de Messier furent améliorées afin de tenir compte des plus récentes observations.

En novembre 1781, Messier visitait le jardin de Monceau avec son ami Bochard de Saron, mathématicien et président de l'Assemblée française. Ses projets de nouvelles additions à son catalogue s'arrêtèrent abruptement lorsque Messier se blessa gravement dans une glacière de jardin. Messier subit les effets d'une chute de 25 pieds. Résultat: fractures d'un bras, de la hanche, d'un poignet et de deux côtes.

Un an et trois jours après sa chute, Messier était de retour à son observatoire. Le temps passa et les observations se succédaient lorsque la Révolution française (1789) arriva. Durant cette période trouble, de nombreux astronomes furent  chassés de Paris. Messier ne fut pas trop affecté par la Révolution. Cependant, peu après qu'il ait eu droit à une pension de l'Académie, cette institution fut abolie. Il perdit sa pension ainsi que son salaire à la Marine, mais heureusement, Messier avait des économies. En septembre 1793, il découvrit une nouvelle comète. Afin de pouvoir en calculer l'orbite, il posta ses observations à son ami Saron qui était emprisonné par les révolutionnaires. Saron termina les calculs quelques jours avant d'être guillotiné…

Durant les premières années du XIXe siècle, la chance sourit de nouveau aux astronomes et Messier fut reçu membre de la nouvelle Académie des sciences. Il fut même décoré de la Croix de la Légion d'honneur par Napoléon. Messier vécut jusqu'à l'âge de 86 ans. Il mourut le 12 avril 1817.

Les derniers objets de Messier

Les objets M104 à M110 ne furent jamais compilés dans un catalogue par Messier lui-même. Pourquoi sont-ils présents dans le catalogue actuel? En 1921, Camille Flammarion travaillait intensivement au catalogue de Messier lorsqu'il découvrit un cahier de notes de travail de Messier. Par rapport au catalogue original, une nouvelle nébuleuse dans la Vierge y était décrite (galaxie NGC 4594). Flammarion décida alors d'ajouter cet objet, M104, au catalogue de Messier. De son côté, Helen S. Hogg mit en évidence quatre mentions inédites dans le courrier que Méchain transmettait à Messier. Comme l'un des quatre objets était en fait la galaxie M104, les trois autres objets furent désignés M105, M106 et M107. Les objets M108 et M109 furent ensuite ajoutés au catalogue, car Messier en avait fait mention en annexe du catalogue original. Finalement, l'objet M110 fut ajouté plus tardivement alors que des travaux de recherche ont montré que la galaxie NGC 205 avait été décrite par Messier.

En terminant, on peut affirmer qu'au XVIIIe siècle, le catalogue des objets de Messier a ouvert la voie à l'observation des objets nébuleux tout en facilitant l'identification des comètes. De nos jours, ce catalogue est toujours apprécié des astronomes amateurs, car il facilite l'observation de nombreux objets inusités, mais toujours magnifiques.

Pierre François André Méchain

(1744-1805)

Méchain est né à Lyon en 1744. Il étudia l'architecture à Paris et s'intéressa rapidement à l'observation du ciel. Après une entrevue, l'astronome Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande accepta de lui enseigner l'astronomie. Lalande fut étonné des progrès rapides de Méchain. Il lui fournit son premier emploi d'astronome à Versailles, au Dépôt de la Marine.

En 1781, Méchain découvrit et calcula l'orbite de deux nouvelles comètes. L'année suivante, Méchain fut récompensé par l'Académie royale des sciences pour son mémoire sur les comètes de 1552 et 1661. Un retour était prévu pour 1789, mais il montra qu'il s'agissait de deux comètes distinctes et que ni l'une ni l'autre ne serait de retour en 1789. De tels travaux théoriques étaient typiques de Méchain. Il découvrit environ 10 comètes, qui ne représentent qu'une portion de ses travaux d'astronome. Méchain fut rapidement reconnu comme un excellent astronome. Il fut admis à l'Académie en 1782. On lui doit au moins 28 objets de Messier.


Par Éric Cormier

Journal Ciel de Nuit, Hiver 1998

Références :
MALLAS, J.H. et E. Kreimer. The Messier Album, Cambridge University Press, 1978, 220 p.
BROQUET, A. Les objets de Messier, L'Acadie, Éditions Broquet Inc.,1995


 

 

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