La chute de la météorite de St-Robert en 1994

(comme si vous y étiez)

 

À St-Robert, petit village à 15 km de Sorel-Tracy, comme dans tout le sud-ouest du Québec, la soirée du 14 juin 1994 s’annonce douce et paisible. Le blé d’Inde est déjà semé et les agriculteurs savourent le beau temps.

À 20 h, la station météorologique de St-Guillaume, située à 20 km au sud-est de St-Robert, rapporte un ciel dégagé avec passages nuageux et une température de 21 ° C.

 Météorides (météoroïdes), météores, météorites

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À la même heure, à la télévision, débute le 7e match de la finale de la coupe Stanley entre les Rangers de New York et les Canucks de Vancouver. Les vaches de M. Forcier paissent dans un champ à côté de la ferme située sur le rang St-Thomas. Sur ce rang, Stéphane, le fils de M. Forcier de 21 ans, roule en bicyclette pour rentrer chez lui.

À 20 h 13 s, le soleil est bas sur l’horizon de St-Robert. Dans l’espace, à 1500 km de St-Robert, un fragment d’astéroïde d’environ 1600 kg file à la vitesse de 13 km/s, sur une trajectoire de collision avec la Terre ; sa température est d’environ -20 ° C. Vue de cet endroit, la Terre est énorme. Elle occupe presque la moitié du ciel ; impossible de la rater. Le météoride goûte ses derniers instants de tranquillité dans l’espace interplanétaire. Pour le moment, seulement quelques rares particules viennent chatouiller sa surface ; la perte de vitesse dans ces conditions est complètement négligeable.

À 20 h 1 min 44 s, à 500 km de la surface terrestre, le météoride passe au-dessus de Peck Lake dans l’état de New York. De cette hauteur, on voit bien à gauche le lac Ontario et à droite les lumières de Boston déjà allumées.

À 20 h 2 min 20 s, à 100 km de la surface terrestre, le météoride coupe la ligne de Kármán et commence à sentir le souffle encore léger de l’atmosphère terrestre. St-Jean-sur-Richelieu est quasiment juste en-dessous et, sur la gauche, on voit l’étendue énorme de Montréal.

À 20 h 2 min 24 s, à 62 km du sol, l’air possède une densité assez élevée pour que le météoride, en la comprimant, porte sa température à plusieurs milliers de degrés Celsius. Sur des dizaines de mètres, l’air environnant, excité par cette chaleur, émet de la lumière en se désexcitant. Le météoride incandescent se trouve au centre d’une boule de feu. Un météore, visible à plus de 500 km à la ronde, apparaît alors dans le ciel. La chaleur intense fait fondre la roche en surface ; ce liquide, chaud et visqueux, coule vers l’arrière du météoride qui en refroidissant forme l’épaisse fumée. Une trace blanchâtre dessine la trajectoire dans le ciel.

À 20 h 2 min 26 s, à 38 km du sol, l’air, de plus en plus dense, commence à affecter le météoride qui commence à se disloquer. Quelques morceaux se détachent du corps principal, mais le météoride continue sa course suivant le même cap de 22 °.

À 20 h 2 min 26 s, le météoride se trouve au-dessus de St-Bernard-de-Michaudville (Qc), à 36 km du sol. À cet endroit, alors que sa vitesse n’est plus que 8 km/s, la décélération, produite par l’augmentation exponentielle de la densité atmosphérique, est supérieure à 20 000 fois l’accélération de la gravité terrestre. Le météoride subit alors des contraintes insupportables et ne peut faire autrement qu’exploser. À cet instant, le météore brille de mille feux et atteint une magnitude stellaire de -18. Il dissipe alors 50 GW en lumière, puissance supérieure à celle d’Hydro-Québec lors des pointes de consommation hivernale. Environ 98 % de la masse est pulvérisée, le restant étant fragmenté en de nombreux morceaux.

Au sol, des milliers de personnes du Québec, de l’Ontario, de l’État de New York, du New Hampshire, du Vermont, dirigent leur regard vers ce feu d’artifice silencieux. Danièle Jodoin de Montréal voit une grosse boule orange avec une traînée. Elle pense que c’est un feu d’artifice, mais elle s’étonne de la grosseur de la boule de feu et du fait qu’elle descend à la place de monter. Elle pense « virer folle ». Elle interpelle son mari Stéphane Hamel, qui, le dos tourné à la boule de feu, s’étonne que la vitre devant lui s’enflamme de rouge.

À 20 h 2 min 30 s, à 20 km du sol, un petit nuage de pierres survivantes passe au-dessus du No 576 rang de Picoudi. La vitesse du morceau principal qui a survécu à l’ablation et à l’explosion passe en dessous de 3 km/s. L’énergie dégagée ne réussit plus à ioniser l’air environnant, le météore s’éteint et le vol sombre débute. À mesure que le météoride descend, il s’enfonce dans les couches de plus en plus denses de l’atmosphère ; cela produit une verticalisation de la trajectoire et une diminution de la vitesse. La température descend en dessous des 1000 °C, la surface fondue fige et une croûte de fusion vitrifiée se forme. L’inclinaison de la trajectoire qui était, au début, de 58 ° au-dessus de l’horizon, est montée maintenant à environ 78 °.

À 20 h 2 min 36 s, au sud de St-Robert, à 10 km au-dessus du rang de Picoudi, toutes les pierres, même les plus grosses, ont une vitesse subsonique et commencent à ressentir les vents d’altitude. Les différentes pierres se dispersent alors dépendant de leur masse et forme. Les plus petites perdent du terrain, les plus lourdes avancent plus facilement vers le nord-est.

À Montréal, Mme Jodoin et son mari regardent ébahis le tube de fumée dans le ciel. À Sainte-Hyacinthe, à St-Amable, à St-Jean, partout dans le sud-ouest du Québec des gens regardent le ciel et essayent de comprendre ce qui se passe. Ce qu’on voit dans le ciel semble énorme, mais rien ne se passe ; la vie continue comme avant. Sur le rang Saint-Thomas, les vaches continuent de brouter et Stéphane Forcier sur son vélo est presque arrivé chez lui.

À 20 h 3 min 29 s, quatre fragments du météoride, se déplaçant à environ 80 m/s, s’enfoncent dans le sol au sud de la rue Principale entre le chemin de St-Robert et le rang St-Thomas.

À la même heure, Vital Lemay travaille dans son champ à 600 m au sud-est du centre-ville de St-Robert. Il entend deux ou trois bangs et ressent le sol trembler. Il regarde le ciel et voit le nuage de fumée. Il entend alors deux sifflements, un vers le sud et l’autre vers le nord suivi d’un bruit sourd.

Stéphane Forcier, maintenant devant sa ferme, lui aussi ressent le sol trembler et entend un sifflement suivi d’un bruit sourd. Il regarde dans la direction du bruit et voit quelques taures s’enfuir et sauter un ruisseau.

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Il voit aussi, étrangement, à environ 100 m de la maison, dans la même direction, 4 ou 5 vaches qui, en cercle, regardent par terre. Intrigué, Stéphane va voir de quoi il s’agit. Il découvre alors au milieu des vaches un trou de 15 cm de diamètre et 20 cm de profondeur. Il y récupère une pierre noircie de 2,3 kg qui est froide au toucher.

Sur une superficie de 8 km par 3 km, une pluie de pierres s’abat sur les champs de St-Robert.

Dans les secondes qui suivent le passage du bolide, des milliers de personnes, le long de la trajectoire terrestre du météorite, entendent une ou plusieurs détonations qui les font sursauter. On entend le tremblement d’immeubles et vitres. Les services de police de la région sont submergés d’appels de personnes rapportant des explosions de différentes intensités et durées.

À Montréal, trois à quatre minutes après l’émission du flash de lumière de l’explosion, Mme Jodoin et son conjoint entendent, un boom sourd qui semble venir du sol.

Le soir même qu’au Madison Square Garden, les Rangers de New York remportent la coupe Stanley par 3 buts à 1, Bernard Derome, au téléjournal de 22 heures, rapporte la chute probable d’une météorite à St-Robert.

Le 15 juin 1994 vers 15 heures, Richard Herd de la Commission géologique du Canada, venu expressément d’Ottawa, reconnaît que la pierre ramassée par Stéphane Forcier, sous l’indication de quelques vaches, est bel et bien une météorite. Ainsi, les vaches de St-Robert sont passées à l’histoire.

Fragment de la météorite de St-Robert exposé au Planétarium Rio Tinto Alcan à Montréal. Photo de Vincent Stelluti

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Avertissements

Les données pour faire la reconstruction de cette chute ont été extraites des publications données en référence. Elles proviennent d’observateurs au sol, d’un détecteur infrason et d’un détecteur d’ondes électromagnétiques installés sur un satellite de la NASA. Toutes ces données sont entachées d’incertitudes, mais, pour la reconstruction des événements et dans le but d’alléger la lecture du texte, seules les valeurs moyennes et en concordance entre elles ont été prises en compte. Ainsi, les positions ont été arrondies au kilomètre et les temps à la seconde.

Vincent Stelluti

Août 2021

Références:

  1. Peter Brown et Al., The fall of the St-Robert meteorite; Meteoritics & Planetary Science 31,502-517 (1996).
  2. Alan R. Hildebrand et Al., The St-Robert Bolide of June 14 1994; The Journal of the Royal Astronomical Society of Canada. Royal Astronomical Society of Canada 91 (6).
  3. Russell W. Kempton, The St-Robert Stone Meteorite; METEORITE! Magazine, Pallasite Press, August 1996.
  4. La Presse, 16 juin 1994, No 233, p 1.
  5. Téléjournal Radio-Canada 14 juin 1994 : Il y a 25 ans, St-Robert recevait la visite d’une météorite | Radio-Canada.ca
  6. Meteoritical Bulletin: Entry for St-Robert (usra.edu)
  7. The St-Robert meteorite | Wat on Earth | University of Waterloo (uwaterloo.
  8. Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 21 juin 1994 No 10 142e année.
  9. Poirier et Trzcienski, Mineralogy of the St. Robert Meteorite. st robert poster.doc (mcgill.ca)
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